Catherine Auclaire Plasticienne

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De l'autre côté de nous

Nous sommes de l'autre côté de nous.

Si nous en avions la conscience, nous y puiserions ce qu'il faut de vérité pour survivre agréablement.

Il se trouve que ce confort ne nous est pas donné, c'est même le contraire, il nous est repris à l'angle précis du néant d'où nous venons et de notre naissance qui fait illusion; et nous voilà contraints, dès l'enfance, à jouer les funambules. Nous pourrions être l'un et l'autre, nous ne sommes ni l'un ni l'autre, et d'ailleurs sommes-nous nous-même?

Cette question présentée comme un tressaillement occupe le travail de Catherine Auclaire-Lastmangoff.

Catherine Auclaire-Lastmangoff dessine, peint et sculpte. Commençons par le volume. Sur de fins échafaudages sans fardeau, elle étend ses linges de tarlatane et de brume, comme des représentations évasives de la condition solitaire de l'homme. Certains bronzes rattrapés par l'image du corps, mais un corps sec, comprimé, tiré comme une flèche au ciel, sont parfois sciés aux chevilles avec, dans le cercle démesuré de leurs bras, le désir d'une dernière danse. Débarrassés du poids de l'âme, bien plus lourde que toutes les enveloppes de chair et leur contenu d'entrailles, ils sont happés, aspirés, vers un autre pays pleins d'éternelles élégances. Il y a dans ce travail tactile, tressé, torsadé par la paume d'une femme - qui ne saurait faire l'abandon de la douceur - une troublante approche du silence, une allégeance à l'humilité, une exigence sans filet d'aller de la chair à la transparence sans passer ni par la transparence, ni par la chair.

Dans ce monde où l'apparence subjugue l'état de vivre, où la facilité mystifie jusqu'au mensonge, où la brutalité souriante a imposé partout ses chemins d'abstraction, cette artiste fabrique hors des codes et des réseaux une architecture de quête, enivrante et sobre, dans laquelle une colère des origines qui vient frapper chez elle, se marie à un espoir constant. Il y a toujours un signe de lendemain dans son travail, et ses couleurs ont une gaîté profonde, une légèreté des bleus par exemple que même l'envers des nuages n'inventent pas. Il y a toujours, oui, un appel au lendemain dans son écorce de tourments.

Faufilons-nous dans le cortège des dessins, moissonnés jour après jour, couvrant avec une rage sereine des ribambelles de carnets. Ses silhouettes griffées tiennent toujours debout, au propre comme au figuré, et ne sont jamais seules. On n'est jamais seul, malgré la déception du monde et les ingrates patiences qu'il nous impose, chez Auclaire-Lastmangoff; jamais dans l'ombre, jamais en impasse; simplement interdits, cueillis au carrefour, dans une espèce d'expectative écarquillée et enfin dégagée de la sensation d'être dupes. Nous nous voyons, dans ses miroirs, réfléchir en groupe, ou à deux, à la possible route, celle qui fera le moins mal. Pinter, Beckett, Ionesco habitent ces traits qui vont plus vite que notre regard, nous absolvent un instant de nos retards et c'est tout à fait ce à quoi l'art doit nous convier.

Pierre Vavasseur